L’Alcool au féminin

Il est 3h du mat’ quand Lina sort du café « l’escargot » en titubant. Elle a bu plusieurs bouteilles de vin. Elle empoigne violemment la main de son fils âgé de 8 ans et lui crie dessus pour qu’il avance ,sous le regard ébahi de passants. Elle s’est mis « une vraie mine !» comme dirait son amie, qui elle,  ne boit pas. L’alcoolisme est une maladie et addiction qui concerne plus d’1,5 millions de Françaises. Les spécialistes du sujet tirent la sonnette d’alarme sur des pratiques et consommations importantes chez les femmes et notamment les plus jeunes. À l’heure du « Dry January », venu d’Angleterre c’est le défi du mois de Janvier sans alcool… Quels sont les profils de femmes concernées ? Pourquoi cette addiction ? Et comment s’en sortir –ou- quelles solutions?

by Rebb center moscow

Autrefois réservée aux hommes, avec leur émancipation,  l’alcool est devenu omniprésent dans la vie de toutes les femmes.

Selon l’enquête de Santé publique, publiée en février 2019, 23 % des femmes de 18 à 75 ans boivent entre une et six fois par semaine. Une augmentation significative de 4 points depuis 2014. Les repère de Santé public France pour savoir si on est addict c’est de ne pas dépasser 2 verre par jours, et pas tous les jours ! il faut qu’il y ai 10 verres par semaine avec 2 jours « off ».  Au-delà, la consommation est jugée excessive, et il peut s’agir d’un début de dépendance. 

« L’usage à risque d’alcool, voire l’addiction à l’alcool, concernerait environ 1,5 million de femmes ! »  alarme le Dr Laurent Karila. Entre 20 et 79 ans, environ une femme sur dix déclare consommer de l’alcool quotidiennement et environ quatre sur dix toutes les semaines. Laurent Karila est un psychiatre français, médecin à l’hôpital Paul-Brousse (AP-HP). Il est LE spécialiste de l’addictologie en France. Professeur d’addictologie et de psychiatrie à l’Université Paris-Saclay,il est également Auteur de nombreux livres sur le sujet comme  Tous addicts, et après ? avec William Lowenstein,  Addictions : Dites-Leur Adieu,  et  L’Alcoolisme au féminin.

Témoignage et explications du Dr Karila lors de l’émission Allô Docteur

Qui ?

Contrairement à ce que l’on pourrait penser il ne s’agit pas de femme dans la précarité ou la pauvreté qui serait les plus touchés. Le profil concerne bien des catégories socioprofessionnelles plus élevées, souvent des cadres avec des fonctions managériales.

Lina 42 ans ,est institutrice. Elle a été mariée à un banquier pendant 10 ans. Elle a toujours bu un petit peu, même jeune fille elle se mettait des « mines » nous précise son entourage mais moins souvent. Son mari faisait la tournée des bars pour la retrouver et la ramener à la maison. Son couple battant de l’aile depuis 4 ans cela n’a fait que s’accentuer et empirer au moment du divorce. C’est une femme cultivée pourtant et la plus diplômée de sa famille. Sa famille ne comprends pas : » elle avait tout pour être heureuse, on ne comprend pas d’où vient ce mal-être….  Et on reste impuissant »

 D’après cette enquête de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), toutes les catégories socioprofessionnelles et tous les secteurs d’activité sont touchés,  12 % des femmes cadres ont un usage à risque de l’alcool, soit le plus fort pourcentage de consommation à risque. Un chiffre plus élevé que chez les ouvrières et les artisanes (8 %) et les employées de bureau, les commerciales ou les agentes de service (7 %).

Le pire c’est lorsqu’on commence à consommer toute seule. Au début c’était toujours entourée lors de l’apéro, mais petit à petit j’ai commencé à boire seule chez moi, et en quantité… à un point ou je devais cacher les bouteilles, ou prendre des flashs car je n’arrive pas à m’arrêter, confie Lina. D’un côté on a  les 50-60 ans pour qui c’est gênant, honteux qui dissimule et cache le plus longtemps possible leur problème, et de l’autre on a la génération des jeunes femmes, 20-40 ans, qui pratiquent les afterworks ou autres pots de bureau, pour qui toutes les occasions sont bonnes de boire un verre ou plus, voire de se rendre ivre…

« Ce qui est grave c’est de ne pas se souvenir, dit Claire 28 ans. C’est d’avoir des trou noir et de ne pas savoir ce qui s’est passé. Je me réveille le matin dégoutée , ne sachant le déroulement de la soirée, ne sachant comment je suis rentrée chez moi, ni si quelqu’un m’a raccompagné ». Une forme de perte de Soi. Son frère est au courant de ses excès et s’en inquiète.
Il raconte  l’avoir vu  dans des situations improbables, honteuses, vraiment pitoyable. « Je l’ai trouvé assise baignant dans sa pisse dans notre ascenseur complètement ivre. C’est comme si elle cherchait à se pousser à bout, comme pour dépasser ses limites avec une forme de dégout de Soi. Chaque sortie est source de crainte car j’ai peur qu’il lui arrive quelque chose, que quelqu’un profite de la situation ».
C’est ce qu’on appelle le Craving (envie irrésistible ou irrépressible de consommer), usage Compulsif et Continu, et ce, malgré les Conséquences (sur la santé physique, psychologique, sociales), dit le Pr Karila dans « l’alcoolisme au féminin »; c’est ce qu’il dénomme les 5 C .

Pourquoi  et comment ?

De consommation occasionnelle,  on peut passer à l’alcoolisme pure et dure, voir  à la dépendance totale. Au début des années 1900, un homme qui boit est un bon vivant; alors qu’une femme, c’est une débauchée, une femme facile et une mauvaise mère.

Ces dernières années, les industriels ont tout fait pour normaliser la consommation d’alcool en développant activement un marketing  en direction de cette cible (bouteilles stylisées et colorées, bières parfumées, champagne et vin rosés…)

Il s’agit d’un sujet tabou et les causes de ce mal-être sont nombreuses. Des facteurs génétiques à 40% expliquent cette maladie, mais des facteurs psychologiques, cérébraux, et environnementaux entrent en considération selon le Dr Karila.

Très souvent ce sont des personnes qui ont été exposés à de la violence , qu’elle soit physique, psychique, psychologique et parfois sexuelle. Le stéréotypes de la mauvaise mère provoque honte et culpabilité porté par la femme, c’est pourquoi l’alcoolisme est caché. Souvent il s’agit d’une problématique familiale (rapport avec la mère) et affective . Mais cela peut également provenir d’une problématique professionnelle précise Elsa Taschini Psychologue Clinicienne PHD et Fondatrice de l’association Addict’Elles qui lutte contre l’alcoolisme.

En résulte des mensonges une forme d’horreur de soi, une sensation de vide pour combattre l’ennui ou oublier les problèmes. Souvent des troubles du comportement alimentaire peuvent y être associés. Une femme en 2020, c’est l’égal de l’homme: elle travaille, a des enfants, et doit s’occuper du foyer. Elle a une charge mentale énorme! L’alcool joue un rôle antistress chez les femmes, un effet anxiolytique, une sorte de booster ou relaxant. « On est moins productive on est lente on se sur-maquille pour cacher son état, on achète des flashs, on cache ses bouteilles et il y en a partout » précise Claire.

L’entourage

 « Au départ c’est pour prendre UN verre seulement. Mais ce n’est jamais un seul verre…puisque je ressors du bar avec 6-7 verres minimum, si je ne fais pas la fermeture du bar et là je ne compte plus mes verres…nous confie Annick. Le lendemain, les copains me racontent que je me suis embrouillée avec un tel, que j‘ai vexé une personne, que j’ai eu des discussions houleuses, bref que j’ai été agressive comme à chaque fois que l’alcool pénètre mon corps…Ce n’est pas moi qui parle, c’est l’alcool… ». L’entourage et les amis prennent du coup leurs distances, ne sachant plus gérer ce genre de crises.

Cela donne lieu à des clashs, à des disputes parfois violentes pour ceux  qui ont « l’alcool mauvais » qui ont prononcé de mauvaises paroles. « Ce n’est pas moi qui parle c’est l’alcool » dit Lina. Il y a parfois des moments de violence, des cris, de la rage exprimé parfois même devant les enfants. L’entourage  entier est affecté par cette maladie (amis, conjoints,enfants, parents…).  On estime que pour chaque personne qui boit à l’excès, cinq personnes souffrent.  Elles souhaitent  aider le malade et peuvent se sentir responsables de leur consommation , voir culpabiliser. 

Sur le plan physique

L’alcool abîme la plupart des organes et tissu car il est véhiculé dans le sang.  

Le déclic arrive parfois lors de débuts de complication au niveau de la santé physique qui vont faire prendre conscience au patient de la gravité de la situation. Les femmes sont plus vulnérables que les hommes. À même âge, même poids, même quantité d’alcool absorbée, leur alcoolémie sera plus élevée que celle des hommes. Il y a moins de masse musculaire, et plus de masse adipeuse moins bien vascularisée chez la femme. L’absorption de l’alcool est donc ralentie et ses effets diminuent plus lentement. Le volume de distribution étant moindre, l’alcool restera concentré plus longtemps dans le sang et les tissus que chez l’homme.

by Gerd Altmann

Contrairement aux hommes qui boivent souvent pour des raisons sociales, les femmes consomment la plupart du temps pour faire face à des sentiments, des émotions négatives et des problèmes, ou pour accroître leur confiance. Alors que pour les hommes, l’addiction alcoolique est le plus souvent primaire et peut se transformer en dépression, les femmes, elles, utilisent fréquemment l’alcool comme un pansement émotionnel, un anti déprime un tranquillisant ou.

Les solutions :

Il existe plusieurs centres et associations spécialisé dans cette addiction.

La prise en charge est le 1er pas. Il faut identifier les causes du problème pour l’enrayer… La volonté ne suffit pas, il faut de la motivation il faut des ressources pour y arriver en remplaçant une addition par une autre plus saine comme regarder des séries, pratiquer des  activités manuelles, de la danse ou du sport. La réduction n’est pas possible, il faut de l’abstinence totale, se dire juste un verre ne marche pas.

L’ expérience montre que seule une démarche personnelle du malade est susceptible d’aboutir durablement. Aussi, si on veut aider  un proche, un membre de la famille, ami, ou collègue qui a un problème d’alcool, il faut l’invitez-le à contacter lui-même une association, sans le faire à sa place.  L’inciter à faire le premier pas vers son rétablissement est la meilleure chose à faire. Véritable travail de reconstruction de Soi, il faut déjà commencer par oser en parler et demander de l’aide . S’agissant d’une maladie neuro-biologique qui s’exprime par la perte de liberté de s’abstenir souvent en lien avec les émotions, il faut une prise en charge psychologique. On estime à 12 500 morts par an chez les femmes causé par l’alcoolisme.

Pour faire le deuil de la bouteille, il existe plusieurs associations, centres d’addictologie, et groupe Facebook sur les réseaux sociaux. (*liste non exhaustive)

Alcoolique anonyme
Association bénévole, ou les participants se réunissent dans le but de devenir abstinents et de le rester. L’accès aux réunions est totalement libre. Il suffit de « pousser la porte ». Aucune information personnelle n’est demandée. Permanence 09 69 39 40 20 (numéro non surtaxé) 24 h/24.

Stop Alcool

L’association propose des groupes d’entraide et permanences, à Bagneux ,au Kremlin- Bicêtre et à Villejuif-Ville,  avec des permanences mensuelles dans 3 Hôpitaux de la région parisienne (Béclère, Paul Brousse et Bicêtre) et dans le service addictologie de l’hôpital Cochin à Paris 14 . Des réunions « zoom » permettent de garder le lien avec des malades en province. Contacts : 06 83 10 97 66 / 06 19 49 95 23 – contact@stopalcool.net – 

Croix bleue

Environ 2 000 réunions sont tenues chaque année, dont 1 000 réunions festives. L’accompagnement se fait en présentiel, mais aussi par téléphone, en visites à domicile, et à l’hôpital. Elle dispose de 50 sections réparties en France, d’un camping sans alcool en Ardèche, d’un journal trimestriel « Le Libérateur », et d’un centre de Postcure.

Laurence Cottet

est la Présidente de l’association française Janvier Sobre, à l’initiative du « Mois sans alcool » en France, équivalent du « Dry January » en Angleterre, et de la page publique Mois Sobre sur Facebook. « 

Pour conclure, il faut dire que toutes les associations d’entraide ne sont pas des « thérapeutes » mais un complément à la thérapie pure. Être attentif à quelqu’un qui souffre, ce n’est pas « faire à sa place », mais l’aider à trouver lui-même son propre chemin en comptant sur le soutien du groupe. Ces associations ne promettent pas de résoudre tous les problèmes, mais tenterons d’apprendre à vivre sans alcool « une journée à la fois » . Une fois libérés de l’alcool, la vie devient beaucoup plus facile. Vous n’êtes pas responsable de votre maladie, mais vous l’êtes de votre rétablissement! Alors lancez-vous!

Je vous laisse avec  LE TÉMOIGNAGE  le plus poignant que je vous invite à regarder absolument !

émission mille et une vies

Laurence a 33 ans lorsque son mari décède d’un cancer. Pour combler le vide laissé par son grand amour, la jeune veuve noie son chagrin dans l’alcool tout en poursuivant son activité de cadre supérieur. Malgré ses responsabilités, Laurence boit à outrance et à n’importe quelle occasion ; pendant les déjeuners d’affaires, dans l’avion, au minibar de l’hôtel, elle s’alcoolise… Convaincue que sa dépendance passe inaperçue. Le 23 janvier 2009 à 19h, Laurence assiste à une cérémonie de vœux organisée par la société qui l’emploie. Ce soir-là, elle s’écroule littéralement face à 650 hauts cadres de l’entreprise, dont son directeur général. Le lendemain, la vie de Laurence s’écroule. Après un ultime déclic, elle décide d’arrêter de boire. L’abstinence, pour elle et ceux qui souffrent de la même maladie, devient son nouveau combat avec « l’Association H3D ».

interview émission ma vérité – le livre à écrire de Laurence Cottet